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Mieux vaut prévenir que guérir
« Le fenouil, quelle que soit la façon dont il est consommé, rend l’homme joyeux et lui communique une bonne circulation, une bonne transpiration et une bonne digestion. ».
Cette préconisation alimentaire n’est pas issue d’un blog de diététique, mais des écrits quasi millénaires d’une religieuse allemande du XIIe siècle, Hildegarde de Bingen. Célébrité chez nos voisins d’outre-Rhin, Hildegarde de Bingen fut une personnalité influente de l’Europe du Moyen Âge. Compositrice de musique sacrée, abbesse, fondatrice d’un couvent, mystique, naturaliste, astrologue, correspondante épistolaire du pape ou d’Henri II roi d’Angleterre… ; Hildegarde est aujourd’hui surtout célèbre pour ses écrits médicaux, qui ont refait surface en Allemagne et dans le reste de l’Europe à partir des années 1980.
Inspirée par la médecine antique, par les avancées de son temps, et par ses propres expérimentations, Hildegarde s’attachait aux équilibres entre physique et psychique, qui servaient selon elle à prévenir le mal autant qu’à le guérir. Ce sont les aliments que nous ingurgitons et les comportements que nous adoptons qui assurent à notre corps une santé pérenne.
Les responsables informatiques français pourraient bien s’inspirer des conseils d’Hildegarde de Bingen pour muscler leurs défenses numériques. Face à la multiplication des cyberattaques, nos entreprises doivent être mieux armées, mieux nourries, et prévenues que certains comportements sont à risque.
C’est précisément pour sensibiliser les entreprises françaises — et en particulier les PME — aux risques liés aux attaques informatiques que la Fédération française de l’assurance (FFA), la Fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance (Agéa), et la Gendarmerie nationale, ont signé le 29 septembre dernier un partenariat. En signant cet accord, les gendarmes du ComCyberGend (le commandement de la gendarmerie dédié à la lutte contre la cybercriminalité) et les assureurs s’engagent à former aux « risques cyber » les agents d’assurance, afin que ceux-ci y sensibilisent à leur tour leurs clients (des entreprises). Les agents généraux, qui distribuent les produits des compagnies d’assurance auprès des entreprises, maillent le territoire et sont un relais efficace pour toucher les PME, qui représentent 46 % des victimes de cyberattaques, et dont seulement 0,0026 % sont couvertes contre les risques liés à la cybersécurité.
Pourquoi les assureurs et les agents d’assurance ont-ils signé ce partenariat ? Parce que le marché de la « cyber assurance » est dans une situation complexe. Les risques informatiques explosent. Et c’est parti pour durer : ils seront un enjeu majeur des prochaines années, selon le panorama des risques de demain publié le 29 septembre par Axa (deuxième risque cité). Les entreprises pourraient donc être en demande croissante de protection. Mais au vu de la croissance des cyberattaques, et en sachant que leur portée pourrait devenir systémique (des attaques contre un grand nombre d’entreprises, ou contre des infrastructures stratégiques), les assureurs craignent de ne pas pouvoir dans les prochaines années supporter le coût des remboursements.
De fait, depuis 2020, le marché français de la cyber assurance est déficitaire. Les assureurs ont remboursé davantage de sinistres qu’ils n’ont engrangé de primes (217 millions d’euros contre 130 millions). Les entreprises, de leur côté, craignent que l’augmentation du « risque cyber » ne contraigne les assureurs à offrir des couvertures moins généreuses, ou à augmenter fortement le montant des primes (les cotisations payées aux assureurs par les entreprises qui souhaitent bénéficier d’une couverture en cas d’attaque). Mais augmenter trop fortement les primes freinerait la croissance du marché de la cyber assurance, de nombreuses entreprises étant mal sensibilisées au risque, et donc peu enclines à payer. Or le marché a besoin de se développer auprès d’un grand nombre d’acteurs pour que la mutualisation de leurs risques permette aux assureurs de réaliser des bénéfices tout en remboursant les sinistrés.
Les assureurs ont donc intérêt, à mesure que le marché de la cyber assurance se développe, à sensibiliser les entreprises à l’anticipation et à la prévention des risques cyber — en les aidant à renforcer leur vigilance, leurs processus internes, et leur technologie. Les PME, nombreuses et très vulnérables aux attaques, sont particulièrement ciblées par les assureurs.
Le gouvernement, qui souhaite que les entreprises puissent être protégées par les assureurs, a lancé en juillet dernier un groupe de travail pour réfléchir au développement d’une offre d’assurance qui couvre les risques cyber des entreprises. Un plan d’action devrait être présenté début 2022. Affaire à suivre, donc.
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